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Location: Vevey, Vaud, Switzerland

Un épicurien qui mord à pleines dents dans la vie

Tuesday, February 24, 2009

Sur les JO traces du passe 3 (An Loc 2 et fin)

Cela fait maintenant 3 semaines que je vis dans un bunker de cette place forte militaire qui se prepare a resister jusqu'au dernier car la fuite n'etait tout simplement pas possible. Nous etions encercles par 3 divisions communistes appuyees par l'artillerie et un certain nombre de chars russes. Les defenseurs de la ville se battaient a un contre trois, et apres les premiers jours de l'attaque, la moitie de la ville etait deja dans leurs mains. Les renforts envoyes par Saigon n'arrivaient pas car il fallait progresser sur cette nationale 13 qui etait completement bloquee par les assaillants.

La vie continue tant bien que mal pour tout le monde dans la base. Au moins les nouvelles qui nous parviennent sont rassurantes car la situation est plutot calme dans la zone ou se trouve ma maman. Mes copains et moi, nous passons nos journees a esperer une bonne nouvelle concernant la situation militaire et aussi a etre epargnes par les obus qui peuvent tomber a tout moment. Les soldats de notre bunker ont la tache dangereuse de maintenir les transmissions telephonistes. Ils doivent souvent effectuer des sorties perilleuses pour reparer des lignes, sous la menace constante des snipers, ou des obus tires par nos communards des hauteurs des alentours. Nous, on s'occupait comme on pouvait, comme nous ne sommes pas tous dans le meme bunker, nous profitons des moments calmes pour nous rendre visite les uns aux autres avec toujours le risque de recevoir un petard sur la tete. Et justement c'est quand c'est calme que le danger est le plus grand car vous etes a decouverts, et c'est la que les autres ont un certain plaisir a vous surprendre.

Ce que nous redoutions tous finit par se produire, un jour en sortant des bunker pour prendre un peu d'air et s'echanger des nouvelles, un obus tombe a l'improviste a fauche un des notre et blesse legerement deux ou trois autres amis, j'etais indemne par miracle. Et une autre fois, pour monter faire ses besoins (car dans ces bunkers peu sophistiques, il n'y a pas de toilettes !), un autre copain a ete blesse et malgre la petite gravite de sa blessure, le pauvre est mort une semaine plus tard faute de soins adequats et de medicaments.

Combien d'amis, de connaissances, j'ai vu ainsi fauches dans la fleur de leur jeunesse. La guerre, cette p... de grande faucheuse, ne fait jamais de difference.

Et puis un matin, ce qu'on craignait encore plus que les obus est arrive. Nous avons recu l'ordre de deguerpir car le gouverneur ne voulait plus de civils dans cette base. Et le probleme pour moi est que nous sommes enjoints par le Big Chef de rejoindre les autres civils survivant qui vivent sous une relative protections des soldats a la partie nord de la ville. Une zone completement a l'oppose de celle ou vit ma maman et ce ne sera pas evident pour moi d'aller la chercher. Pour des raisons que j'ai parle plus haut et meme si la bataille commence a perdre un peu de son intensite et evolue plutot vers une drole de guerre de position, elle n'en reste pas moins dangereuse et faire toujours plein de morts et de blesses tous les jours surtout parmi les civils. J'ai fait plusieurs tentatives pour essayer d'aller la recuperer mais aucune n'a abouti car je ne savais pas par ou passer et j'ai meme essuye des tires en quelques circonstances. Pour moi le risque etait trop grand.

Cela fait maintenant bientot 10 jours que les copains et moi se re trouvent dans cette zone qui est relativement epargnee par rapport a d'autres quartiers de la ville. Et les gens essayent d'organiser un semblant de vie normale pendant des accalmies un peu plus frequentes par rapport au debut de la bataille. Les gens se mettent a troquer des choses entre eux car l'argent n'avait plus autant de valeur. Et c'est ainsi que l'un de mes copains a pu echanger un peu de riz recupere lors des parachutages contre un peu de tabac avec un membre des minorites ethniques qui vivent en temps normale dans les forets autour de la ville. Du coup, tous les matins j'ai pris l'habitude d'aller lui quemander un peu de fumette. Ce matin la, nous venons de rouler une cigarette avec ce tabac grossier qu'en temps ordinaire, nous dedaignons avec mepris. Soudainement, une explosion sourde retentissait au dessus de notre tete. Un petit obus (heureusement) a explose contre le toit de tole nous surplombant, une forte douleur dans le dos me fait comprendre que j'ai ete touche. Et un morceau de tole reste plante dans ma tete dont la moitie etait encore dehors. Un coup de pince pour le retirer et c'est bon ! Quant a mon dos, j'etait quitte pour un trou avec un petit shrapnel dedans mais heureusement que ce n'etait pas trop grave. Finalement l'explosion de l'obus n'a cause que des degats legers, mon copain s'en est tire avec deux dents cassees car un petit eclat lui a tape la bouche et ses deux dents de devant ont fait office de "para-shrapnel". C'etait ma premiere blessure de guerre.

Cela dit, comme vous avez lu plus haut, la guerre est toujours la et l'encerclement ne faiblit pas. Toujours coinces dans An Loc, nous assistons tous les jours a des scenes drammatiques ou des familles sont parfois detruites entierement. Un long cortege de morts et de blesses causes par des pilonnages des assaillants, et aussi, l'ironie du sort, par des tires amis. Des dizaines de morts et de blesses ont ete ainsi causes une fois par nos helicopteres qui ont pris notre coin pour un campement communiste.

Un matin, un evenement s'est produit. Lors d'une de ces accalmies, je vois avec etonnement passer un soldat d'aspect un peu louche, juche sur une moto et cigarette au bec juste devant nous. Mes amis me disent que c'est certainement quelqu'un qui se livre a des trafics du genre marchandises prises des parachutages contre toute sorte de choses des civils telles que l'or ou d'autre bijoux par exemple. Deja qu'une moto qui roule et, denree rare a ce moment la, la cigarette. Intrigue, je demande a ce soldat d'ou il venait et la, bingo. Il me dit venir de l'autre cote, de la partie sud de la ville. Celle ou se trouve precisement ma mere. J'ai demande sans trop y croire s'il me prendrait avec avec lui car j'aimerais aller ramener ma maman ici avec moi. A ma grande surprise, il l'accepte et me dit de l'attendre au coins de la route quand il reviendra de ses affaires.

Derriere le soldat sur sa petit moto, j'ai compris mais un peu tard qu'il fallait faire une demi boucle de la ville en contournant precisement devant le QG et passer de l'autre cote. C'est comme ca que j'ai compris que le front s'est stabilise et la ville est bel et bien partagee en deux camps bien distints.

Arrives devant sa position situee a cote de l'eglise, derriere laquelle, il y a un petit bois, et juste apres ce bois se trouve le quartier catholique ou s'est refugiee ma mere avec moi au debut de la bataille, le soldat me dit de faire attention en y allant car, d'apres lui, l'ennemi est juste de l'autre cote de la route. Drole de guerre je vous ai dit.

Et la, en me voyant partir en direction de l'eglise, le gars m'a couru apres et me dit: "c'est mieux que je t'y conduis car tu risques de ne pas t'en sortir, en plus des bruits couraient comme quoi, les civils qui vivent la ont quitte recemment le coin".

Et nous deux de depasser l'eglise et de s'enfoncer dans le bois en direction du quartier catholique. Au milieu du bois, voyant un groupe de quelques civils creuser un trou pour enterrer quelqu'un, le soldat me dit qu'il vaut mieux leur demander si les rumeurs de depart qu'il a entendues etaient fondees. Juste avant de les atteindre, de loin, je voyais une dame tourner la tete vers nous. Avec un mauvais pressentiment, j'ai reconnu Mme Cai qui etait notre voisine en temps normal et avec qui ma mere est restee quand je l'ai quitte pour aller avec les soldats au QG d'An Loc.

Quand nous nous approchons, me reconnaissant, la dame s'est mise a pleurer. C'est comme si le ciel etait tombe sur ma tete, petrifie, j'ai compris que la personne a mettre en terre etait ma mere. Je suis arrive avec un jour de retard. P... de sort, quel destin de con ! Elle mourait la nuit precedente en disant a cette dame que son fils lui manquait et elle espere qu'il s'en sortira. Je me sentais coupable de n'avoir pas reussi a la recuperer plus tot, juste un jour de plus. Pourtant ce n'etait pas faute d'essayer, au peril meme de ma vie. Comme dans un mauvais melo realise par un mauvais cineaste, le scenario a ete ecrit comme ca sans que j'ais la possibilite de le modifier. Notre voisine me dit qu'au moins j'ai pu la voir et lui faire un dernier adieu avant qu'elle ne soit mise en terre. Contrairement a beaucoup d'autres qui n'etaient meme pas enterres. C'est vrai, mais je suis inconsolable, et je m'en veux pour n'avoir pas pu faire ce qu'il fallait avant. Lorsque tout est fini, en voulant remercier le soldat pour sa bonte, je constate qu'il s'est eclipse discretement. Sans doute par soucis de ne pas gener. Mon bon soldat inconnu, quoi qu'il ait pu faire, il a prouve par son action qu'il est une personne bien, qui a du coeur. Je ne l'oublierai jamais et j'espere qu'il a pu survivre a cette bataille et s'en sort plus tard a la paix revenue. J'ai toujours une pensee pour ce monsieur depuis plus de trente ans.

Presque 3 semaines plus tard et une seconde blessure, plus grave que la premiere (j'ai maintenant 3 jolies petits trous dans le dos avec 3 morceaux de sraphnel dedans) j'ai pu quitter la ville en me joignant a tout ce qu'il reste de civils de cette ville qui n'en peuvent plus d'etre assieges et de souffrir si longtemps. Nous etions aussi favorises par l'essoufflement des communistes et aussi par les renforts qui ont reussi a s'approcher davantage de la ville le long de cette sanglante route qu'est la nationale 13 de sinistre reputation.

En tentant une sortie de derniere chance, nous avons reussi, qui apres 2 jours de marche, qui grace a deux helicos comme moi (une chance inouie, car nous etions une vingtaine sur 3, 4 milliers de personnes a etre pris par ces 2 helicopteres qui ravitaillaient une position sud-vietnamienne sur la N 13, quand nous etions bloques la apres etre sortis d'environ 15 km de la ville), a atteindre Lai Khe a mi-chemin entre An Loc et Saigon et de ce fait , completement hord de danger.

Apres une nuit dans le camp de refugies de Binh Duong, j'ai pris le lendemain un bus pour Saigon et aller me presenter au Consulat suisse dans cette meme ville. Tout le monde me croyait mort !

Car ils ont fait passer tous les soir un avis de recherche a la Television sud-vietnamienne et ils n'ont jamais recu de nouvelles. On m'a propose de me rapatrier en Suisse aux frais de la Confederation, mais j'ai refuse, ce que je voulais c'est que mon pere soit informe de la situation, afin qu'il me fournisse une aide et pour l'instant, je voulais rester encore au Vietnam au cas ou An Loc sera degagee de son siege pour pouvoir assurer une meilleure sepulture a ma mere. Helas, le siege d'An Loc n'a ete leve que des mois plus tard, et pour des raisons de securite, les civils d'An Loc n'ont plus le droit de revenir dans leur ville. Non seulement, elle a ete a plus de 90% detruite, il y a aussi le probleme des grenades, obus pieges, bombes non explosees etc...

Une annee plus tard, plus d'espoir de revoir An Loc avant longtemps, je me suis resigne a venir en Suisse retrouver mon pere et a cause de la situation politique (la victoire du Nord sur le Sud du Vietnam en 1975, s'ensuivaient de longues annees ou le Vietnam reunifie etait ferme aux etrangers) je n'ai pu revenir dans ce pays qu'en 1995 en compagnie de mon pere et de ma belle mere. Nous n'avons passe que 3 heures dans cette ville, qui n'etait toujours pas reconstruite completement et l'endroit ou ma mere etait enterree n'existait plus, du moins comme a l'epoque. L'eglise etait tjs au meme endroit, le petit bois derriere etait tjs la mais les tombes ont disparu ! Desespere et submerge d'emotions, j'ai prefere m'en aller en me promettant de retourner de nouveau a An Loc mais seul car ceci est mon histoire et je veux la vivre tout seul. Je suis retourne au Vietnam dans le Sud une autre fois en 97, mais comme je vous ai dit dans le premier billet consacre a An Loc, je n'y suis pas alle car je ne me sentais sans doute pas encore pret.

Cette fois oui, je me sens enfin en mesure d'affronter ce passe qui, meme s'il comportait beaucoup de moments heureux, etait aussi entache de terribles moments dus a cette sanglante bataille. Et une fois descendu de ce bus a An Loc ce 16 fevrier 2009, 37 ans plus tard et trouve un hotel, je me suis mis a deambuler dans cette ville qui a completement change, a part l'eglise qui a ete reconstruite sur le meme emplacement, tout est nouveau. Les quartiers ont ete redessines et aucune ancienne maison ou batiments administratifs de l'epoque n'ont subsiste. J'ai retrouve l'emplacement de ma ancienne maison grace a la rue qui existe toujours mais a la place de la maison, c'etait un terrain vague. Je l'ai reconnue aussi grace au puit qu'on avait dans le jardin et qui est maintenant bouche.

J'ai ipousse ensuite en direction de l'eglise, ou sur l'esplanade, la statue decapitee de la vierge pendant la bataille etait encore conservee en l'etat comme une sorte de relique. Et le bois derriere l'eglise dans lequel ma mere etait enterree est maintenant un verger agremente de quelques maisons et clotures par des barrieres. J'ai du me contenter d'une priere silencieuse pour ma mere en pensant tres fortement a elle, et j'ai comme l'impression qu'elle est la et qu'elle m'entend. Et cela m'a donne une sorte de serenite apaisante. Par la suite, j'ai poursuivi mon pelerinage a travers la ville pendant de longues heures et a chaque fois en croisant des gens, je les entends murmurer sur mon passage: vous avez vu, on dirait un Americain, il etait peut-etre un conseiller militaire ici pendant la guerre. Ou: que fait-il ici cet etranger, il n'y a rien a voir ici pourtant. Tout cela en pensant que que je ne comprend pas le Vietnamien. Amusant non ? Un detail qui a son importance, les gens qui vivent a An Loc maintenant sont composes de quasi 97, 98 % de gens qui n'ont jamais vecu ici jusqu'en 1972 compris. En tout cas, je n'ai trouve personne de connue de l'epoque.

J'ai aussi l'impression, plus nette que les autres fois encore, que j'ai definitivement le c... entre deux chaises. Je ne sais plus si je suis encore un peu vietnamien ou deja trop suisse. C'est vraiment tres etrange ! Etrange aussi la nuit que je passe a An Loc, avec la fatigue certainement, mais aussi avec un calme si inhabituel pour un ancien du temps de guerre comme moi, j'ai dormi comme un bebe sans l'ombre d'un cauchemard. Ce n'etait pas comme ca dans ces annees troubles. Et peut-etre aussi que je me sens un peu plus apaise, maintenant que j'ai affronte ce que j'appelle les fantomes du passe. Je me suis toujours reproche de n'avoir pu aller chercher ma mere mais je me dois de faire une raison. C'est surement ca le destin, il etait ecrit pour tous quelque part la-haut par une main invisible et on ne peut surement pas aller contre le cours des choses. Dans tous les cas, ce retour m'a fait enormement de bien. Et il n'est pas impossible que je reviendrai encore a An Loc mais dans un autre esprit pour tourner definitivement la page. Il m'a fait chaud au coeur aussi de voir que la ville s'est relevee et est maintenant une cite pimpante, dynamique, plus grande et plus belle qu'avant. Au revoir ma chere ville de mon enfance et a bientot, qui sait ?

Voila mes amis, ainsi finit ce chapitre "Anlocien" un peu triste mais ca m'a fait du bien de raconter cette histoire qui me permettrait d'exorciser definitivement ces souffrances communes a beaucoup de Vietnamiens de mon epoque qui ont eu a subir une guerre des plus longues et des plus destructrices pour des generations. Promis, les prochains billets seront beaucoup plus gaies et dans le ton des vacances. Vous embrasse bien fort.

JPB

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