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Un épicurien qui mord à pleines dents dans la vie

Wednesday, February 18, 2009

Sur les traces du passe 2 (An Loc - premiere partie)

"Nguoi xuong An Loc sua xoan di, chung toi ngung 5 phut chuoc khi ma xe tiet tuoc di Bu Dop"* La phrase de l'aide-chauffeur me tire brutalement de ma torpeur. J'ai du m'assoupir depuis un petit moment, ecrase par la chaleur qu'il fait dans ce mini-bus qui draguait des clients depuis bientot 3 heures le long de la route nationale 13, surnommee a mon epoque la route sanglante. Nous sommes arrives a An Loc, qui est maintenant une petite ville plutot coquette de premier abord, plus rien a voir avec la petite bourgade endormie que j'ai connue dans mon enfance. A la descente du bus, j'ai mis un petit moment pour me rendre compte qu'en fait, on se trouve dans la rue principale qui traverse la ville dans toute sa longueur. Et la, le passe longtemps enfoui en moi, a la fois bien lointain et en meme temps tres proche, me revient d'un coup a la surface.


Nous sommes fin Mars 1972 , en pleine saison seche, propice aux grandes manoeuvres militaires comme ca a toujours ete le cas ici au Vienam depuis bientot plus de 15 ans que la guerre civile perdure. Les nouvelles sont alarmantes depuis quelques jours, il parait que Loc Ninh, l'avant-poste d'An Loc situee a 25 km de la est sur le point de tomber. Et les renforts heliportés depuis d'autres regions du Vietnam commencent a affluer en nombre a An Loc. On a jamais vu autant de militaires en ville. On dirait que toute la ville est en vert treilli ! Les pauvres, ils ne savaient pas ce qui les attendait en face plus tard, et nous non plus !

En ville il y a une tension presque palpable. La route vers Saigon est bloquee par les forces communistes, plus rien ne peut sortir, ni entrer. Les gens commencent a faire des provisions en vue de tenir, si non, un long siege, au moins de quoi tenir sur la route au cas ou on peut fuire les combats qui s'annoncent. Les chanceux, ou qui ont des relations ont pu partir se mettre au chaud avec les rares derniers helicopteres qui acceptaient des civiles a bord. Les autre, comme ma mere et moi, se preparaient au pire tout en esperant encore un miracle, comme les autres fois.

Il faut dire que ce n'est pas la premiere fois que la ville connait une telle situation, mais a chaque fois, on passait a cote de l'orage. Nous continuons a esperer, a prier pour que cette fois encore, ca se passe comme les autres fois. Comme lors de l'offensive du Tet en 68 par exemple, ou quasiment toutes les villes du Sud etaient touchees, mais nous, on a eu juste quelques escarmouches sans gravites. Alors pourquoi ce ne sera pas de nouveau comme ca, se disait-on.

Mais cette fois, ca a l'air serieux, Loc Ninh est tombee, la nouvelle est confirmee a la radio. Et quelque chose nous dit que le miracle ne se reproduirait plus. Nous sentions que l'attaque de la ville est imminente, mais nul ne sait quant exactement. Nous sommes dans les premiers jours du mois d'Avril, les catholiques celebrent les fetes de Paques, il fait un temps magnifique, tout semble irreel car les gens continuent a vaquer a leurs occupations, juste les ecoles etaient fermees, pour les conges de Paques. Les commerces sont ouverts, et l'eglise de la ville est bondee de fideles. Comme si on voulait conjurer le mauvais sort qui allait s'abattre sur cette petite cite de 10000 ames.

An Loc a l'epoque, etait une petite bourgade perdue loin de Saigon, plutot quelconque mais jouissait, en matiere de geostrategie, d'une importance certaine car c'est le dernier verrou qui commande l'acces a la capitale du Vienam du Sud, a 110 km de la. Et elle avait aussi le tort de se trouver a une trentaine de kilometres a peine du Cambodge voisin qui servait a l'epoque de sanctuaire inviolable des forces communistes Nord-Vietnamiennes. Et c'est justement a cause de tout ceci que la ville est un endroit peu sur. Les habitants de la ville vivent dans un etat d'insecurite permanent a l'exception de quelques periodes d'accalmie vers la fin des annees soixante dues surtout a l'incursion enfin decidee des troupes sud-vietnamiennes et americaines au Royaume Khmer suite au coup d'etat de Lon Nol contre le roi Sihanouk. On subissait souvent des pillonages, voire des attaques eclaires qui ont toujours lieu la nuit avant que le calme ne revienne au petit matin. Bref, on etait plutot blinde et un peu fataliste en ce qui concerne les risques et avait pas mal d'habitude en matiere de guerre, et aussi habitue a vivre coupe du monde. C'est que la seule route qui mene a la ville, la nationale 13 precisement, etait la plupart du temps coupee par les communistes et tres souvent la ville ne doit son approvisionnement qu'aux avions de l'armee.

La ville vit principalement de l'industrie du caotchouc et est, de ce fait, entouree de forets d'heveas, les arbres qui saignent. Une industrie appartenant a une grosse compagnie francaise (La Compagnie des Terres Rouges) qui a du frayer avec les communistes, sous forme de paiement de grosses taxes pour pouvoir continuer ses affaires pendant tout ce temps de guerre. C'etait un secret de polichinelle et tout le monde faisait comme si, y compris de la part des autorites sud-vietnamiennes. Ces arbres forme une espece de jungle qui enserre la ville, favorisent ainsi les embuscades le long de la nationale 13 et constituent des cachettes ideales pour les assaillants.

Avec ma mere, nous habitions une petite maison non loin de la lisiere de la ville qui, comme presque toutes les villes du Sud a l'epoque, est entouree d'une sorte de defense sur tout le pourtour (on appelait ca des hameaux strategiques) et la situation de notre maison, nous expose ainsi a plus de risques sur les autres habitations plus au centre, loin de cette ceinture defensive relative qui entoure la ville.

Cela fait deja quelques nuits, comme toujour en cas de tension, que ma mere m'envoie dormir la nuit chez des connaissances du centre ville, esperant ainsi m'epargner le risque d'etre emmene de force par les communistes en cas de razzias (comme decrit plus haut: une attaque eclaire la nuit, puis ils se retirent au petit matin) comme c'est deja arrive malheureusement a certains des jeunes de mon quartier. C'est que nos amis communistes avaient besoin de bras, et les jeunes de 16, 18 ans comme nous a l'epoque faisaient tres bien l'affaire.

Il est maintenant bientot une semaine que cette situation perdure, et les nouvelles entendues a la radio sont toujours plus alarmantes. On parle d'une attaque de grande envergue sur beaucoup de localites du Sud-Vietnam. Une attaque finale de part des Nord-Vietnamiens nous dit-on. Et deja que Quang Tri, la grande ville du Centre est dans leurs mains, celle de Kon Tum sur les Hauts Plateaux est sur le point de l'etre, et si An Loc tombe aux mains des communistes, c'en sera fini du regime du Sud.

Et ce soir la, un de plus, je m'en allais dormir chez des amis du centre ville avec mon baluchon d'habits et une petite somme d'argent que ma mere me dit de garder pour le cas ou nous sommes separes et des recommendations au cas ou le pire se passerait. Et le plus important, me disait-elle, s'il lui arrive quelque chose, et que je m'en sors, la premiere chose a faire serait d'aller m'annoncer au Consulat Suisse a Saigon. Oui maman, je lui dis, mais mon insouciance de jeune homme fait que je pense qu'il ne sera pas necessaire d'en arriver la. Je me suis lourdement trompe !

La nuit etait plutot calme, a part quelques explosions d'obus, notre menu habituel. Et le matin, nous sommes un 6 ou un 7 avril je ne sais plus tres bien, se leve avec un soleil radieux. En disant a mes amis que je m'apprete a rentrer chez moi, tout-a-coup, on voit passer des soldats sud-vietnamiens de la 18e division qui passent devant les maisons et ca n'avait rien d'un repli tactique en bon ordre. Certains ont commence a jeter les munitions, les fusils et enlevent leurs habits militaires en se retrouvant en calecons et maillots de corps. Et tous nous dit de partir car, disent-ils, les communistes arrivent. Ce que nous ne savion pas, c'est que la defense Est de la ville a ete percee presque sans combattre, et au meme moment, j'entendais les bruits de chenilles de chars, je n'y comprenais plus rien, car normalement les communistes n'avaient pas de tanks. Et aussi dans le meme temps des bruits d'avions et des bombes qui nous explosaient tout autour. C'etait un moment de panique totale. On ne sait plus qui est qui. En grimpant sur le toit pour esperer voir quelque chose je voyais sur la route en contre bas, des colonnes de Bo Doi (les fameux soldats du Nord) en casques de latanier et armes de AK 47 qui s'avancaient escortes par des tanks T54 russes. Mon dieu, c'est la fin du monde, me disais je, car avec ces tanks, ils ont un avantage certain. Et tout d'un coup, des bombardiers sud-vietnamiens qui piquaient sur les chars communistes. S'en suivaient une situation completement brouillonne, on se demandait ce qu'il fallait faire. Partir ? nos baluchons d'habits et de vivre etaient prets. Et ou aller ? Ou rester pour le moment ? Et a tout moment, des elements epars de l'armee du Sud, par petits groupes, toutes unites melangees passent devant nous prudemment, cherchant a rejoindre d'autres soldats en nous demandant si la voie etait libre. Au moins ceux la etaient decides a se battre. Quant a nous, nous nous demandions toujours ce qu'il fallait faire.

En debut d'apres-midi, la situation etait toujours aussi confuse, avec des explosions, suivies de moments de calme presque effrayants. Apres de longues conciliabules, les gens du quartier ont decide de partir car l'endroit etait devenu la premiere ligne maintenant que les defenseurs de cette partie etaient en pleine debandade.
En sortant de ce quartier constitue de beaucoup de venelles, nous debouchons sur cette fameuse rue transversale de la ville et la, ce que nous voyions nous remplissait d'effroi. Des carcasses de chars fumants, de vehicules militaires detruits, des cadavres de militaires des deux camps, et de civils jonchaient la rue. D'autres blesses qui reclament de l'aide. Certains etaient dans un etat desepere et qui agonisaient en pleine rue. Et comme nous sommes legerement sur une hauteur, nous avons vu que l'autre moitie de la ville, la partie est, est completement rasee et des colonnes de fumees s'elevent de partout. Une vision dantesque !
Le bruit courait parmi la foule, comme quoi, il faut aller se refugier a l'eglise vu que l'autre edifice religieux de la ville, une pagode, est deja reduit en cendre. Nous y sommes arives haletants, entre les balles qui sifflent, des gens qui tombent et les explosions des bombes larguees par les bombardiers sur les tanks communistes. Et la, j'avais le bonheur de retrouver ma mere qui s'y trouvait deja et nous sommes tombes dans les bras l'un de l'autre.

C'est ainsi que debutait en ce mois d'Avril 1972, la bataille d'An Loc, surnommee le Stalingrad vietnamien, une des plus sanglantes de cette guerre et ou les civils innocents ont paye un terrible tribut. La vie, pour ceux qui ont trouve refuge a l'eglise, s'organise tant bien que mal et la, au moins on etait devant une position solidement defendue par des soldats sud-vietnamiens. Les premiers jours de la bataille se passaient entre frequentes attaques communistes et vigoureuses defenses sud-vienamiennes, avec les pauvres civils entre les deux qui se protegeaient comme ils pouvaient. Des morts et des blesses au quotidien, des blessures de presque rien egalent une mort certaine. Plus d'hopital, deja detruit le premier jour, et le peu de moyens medicaux aux mains des militaires sont destines en priorite aux soldats. On ne peut compter que sur la providence. Les jours passent ainsi, entre la fureur des affrontements selons les endroits de la ville surtout les nuits, my god, ces nuits remplies d'angoisse que je n'oublierai jamais. Certaines nuits, couche avec d'autres sur l'esplanade meme de l'eglise (le batiment lui meme, et les salles de classes de l'ecole catholique attenante sont d'abord pour les familles et les personnes ages et tout est rempli jusqu'au moindre recoin), j'assiste tremblant de tout mon etre aux deversements de milliers d'obus qui explosent tout autour en se disant quand ca va etre notre tour. Et l'angoisse aussi de ces attaques nord-vietnamiennes qui, si elles sont reussies et que nous ne sommes pas morts avant, pourraient signifier pour nous une longue vie errante dans la jungle de tous les dangers aux mains des communistes.

Bientot un mois que ca dure, par chance ma mere et moi, nous sommes toujours sains et saufs mais la nourriture commence a manquer a tous, notre reserve de riz est bientot vide, nous commencons a ajouter au riz des racines trouvees ici et la pour lui donner un peu plus de consistance et nous sommes toujours sous la menace de ce que j'ai decrit plus haut. Comme nous sommes entre deux feux, un soir, une incursion communiste a failli mal tourner pour les quelques jeunes que nous etions et comme un des jeunes a son frere qui est militaire dans la force territoriale base dans le QG de la ville qui se trouve dans la moitie qui tient encore de la ville, ses parents ont demande a ce dernier de le prendre en douce dans cette base militaire, au moins il ne risque pas d'etre emmene de force par des communistes pour servir de bras supplementaires. Il accepte de nous prendre egalement, les amis de son frere. Ma mere y voyait un endroit plus sur pour moi, alors elle m'a conseille de les rejoindre dans cette base. C'est ainsi que notre separation a commence car une fois parti la-bas, il sera difficile pour nous de revenir dans cette partie de la ville, le chemin etait risque car on peut se faire tirer a vue a tout moment.
JPB

- Se termine ici la premiere partie du billet consacre a An Loc mes chers amis, la suite dans le billet suivant. Vous embrasse.

* Les passagers pour An Loc sont pries de se preparer, 5 minutes d'arret et le bus continue sur Bu Dop

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